L’ascenseur des émotions
- Marie Delagrave
- 12 juin 2024
- 7 min de lecture

À quelques jours de partir pour un long voyage, la tête pleine des mille et une choses à ne pas oublier, je tente de rédiger ce billet de blogue. Je pourrais passer outre et les conséquences seraient… inexistantes. Mais en même temps… Je ressens le besoin de mettre de l’ordre dans mes pensées du dernier trimestre qui n'a pas été des plus facile. Pas facile dans ma tête, je veux dire, alors que l’ascenseur des émotions s’est mis en mode cahotique. (Mais ce n’est pas la première fois.)
J’ai ressenti de la vulnérabilité; je me suis débattue avec mes biais, mes contradictions, mes aspirations, mais aussi mes désillusions.
Peut-être que je ressens un peu (beaucoup?) d’usure: ma boulimie d’expériences et d’apprentissages fait, hélas! face aux limites de mes capacités. …Que-je-dé-tes-te-les-li-mi-tes!!!

Par chance, je pratique depuis environ deux ans et demi la méditation de pleine conscience qui me permet, pendant une quinzaine de minutes (la période que je consacre quotidiennement à cette pratique), d’être un peu plus à l’affût de mes émotions et de leur impact, au lieu de me laisser contrôler par elles. Je collige d’ailleurs certains enseignements, comme celui-ci (que je retire de l’app de Ten Percent Happier):
«May I accept things as they are» (Puis-je accepter les choses telles qu’elles sont), une phrase tirée d’une méditation sur l’équanimité de Sharon Salzberg. Se cogner la tête sur le mur ne contribue pas au bonheur, affirme-t-elle. Sauf que que c’est plutôt ce que j’ai fâcheusement tendance à faire et - je confirme - ce n’est pas du tout productif!
Sa collègue La Sarmiento déclare pour sa part: «Life is too important to take it seriously. (…) The essence of joy is simply the ability to delight in being alive.»(La vie est trop importante pour la prendre au sérieux. L’essence de la joie, c’est la capacité d’apprécier d’être en vie.) Méditer, dit-elle, est un acte révolutionnaire (!) dans une société axée sur la productivité. Elle exhorte d’utiliser «the lense of joy» pour mieux voir la vie, ce qui m’a amenée à penser que je devrais être ravie d’apprendre, au lieu de me lamenter au sujet des embûches rencontrées…
Justement, Blender, le «fameux» logiciel de modélisation 3D avec (ou contre???) lequel je me coltine depuis décembre: je me suis abonnée à un site américain (CGCookie) qui offre des formations et j’en ai expérimenté quelques-unes, mais avec plus ou moins de bonheur. Il y a le fait que c’est en anglais (je peux heureusement afficher le sous-titrage: ça aide), les termes sont plutôt techniques mais surtout, je constate que j’ai beaucoup de difficulté à assimiler tous ces concepts et leurs si nombreux détails. Il est possible de poser des questions et des «cracks» nous répondent, parfois même l’instructeur qui a créé le cours en question. J’en ai posé tellement, des questions, qu’à un moment donné, un formateur m’a gentiment suggéré de prendre le cours précédent, destiné aux débutants. Problème: je l’avais déjà suivi…
À fleur de peau (j’en conviens), j’ai trouvé ça… humiliant.
Mais le jour suivant, un expert a pris la peine de m’écrire ceci: «Marie, this stuff is hard, it takes a long time to learn and master. Ten days is nothing compared to the years of experience that are needed to feel comfortable with 3D and animation. So yes, take the course a second time and a third for that matter, there is no wrong answer. I have had to watch courses two or three times, I have had to repeat exercises five and six times, I forget things if I don't use it often and then I have to go watch a tutorial again to remind myself. Remember, Blender is just a tool, what you have to keep in mind is that you want to do cool stuff with it, you want to make cool animations and the tool is getting in the way. The point is not to master Blender but to master animation, no matter the software. So give it time, practice a lot, and you will get better even if you're not noticing it, have grit, keep moving forward without loosing enthusiasm, anything you'll want to learn will require such discipline. So keep moving.»
(Pour ceux qui sont moins à l’aise en anglais: il écrit que Blender est un logiciel qui demande beaucoup de temps et de pratique pour le maîtriser. Il est passé par là et a dû répéter, plusieurs fois, bien des formations et des exercices. Il rappelle qu’il ne faut surtout pas oublier que Blender est d’abord un outil pour faire de l’animation et c’est l’apprentissage de cette dernière qui doit être mon objectif, pas le logiciel. Et ultimement, il faut veiller à ne pas perdre l’enthousiasme qui m’a initialement motivée à vouloir créer des animations.)
Disons que ça a mis un peu de baume sur mon orgueil écorché…!
Question d’alléger un peu (momentanément…) l’atmosphère, voici deux réalisations de sculpture numérique avec Blender. Le but de l’exercice du requin était de reproduire à l’identique celui proposé par le formateur, qui fait très (mais très) dessin animé. Je ne peux pas croire que j’ai fait «ça»!!!
L’autre cours proposait de créer une tête de félin plutôt stylisée. Le choix de la professeure: un… lion! Moi, ô surprise, j’ai choisi… mon chat (hihihi!). Malheureusement, je n’ai pas pu apprendre comment créer les poils et moustaches (un autre défi!), mais c’est un début.

En passant: je suis fascinée par la vision des sujets modélisés lorsqu'ils sont en mode maillage (comme ci-dessus). Là où les mailles sont les plus denses sont les parties que j’ai le plus «travaillées».
Intermède culturel 1
J’ai assisté le 4 avril au Grand Théâtre de Québec au spectacle de Simon Leoza, un compositeur montréalais néo-classique et électroacoustique que j’apprécie. J’avoue que j’ai trouvé un peu cacophoniques certains collages de textures sonores (alors que le niveau de décibels était plutôt intense). Par contre, j’ai a-do-ré lorsque des animations (de l’artiste Estelle Frenette-Vallières) ont été projetées sur un drap froissé (ce qui apportait des textures): en plein dans le genre de ceux que je veux/aimerais faire!!!
Quelques-unes des belles illustrations d'Estelle Frenette-Vallières réalisées
pour le clip vidéo Atoms, Atoms, Atoms de Simon Leoza
Ah! que je verrais mon frère compositeur Éric Delagrave en train de pianoter sur ses synthés pendant que mes expérimentations vidéos seraient en fond de scène! (Je lui en ai fait part et… il m’a dit d’oublier ça. Bon. …Zut quand même!)
Et si ???
Je l’ai déjà écrit: en quête de diffusion et d’expériences, je soumets ma candidature à des projets d’exposition (individuelle ou collective) ou de résidences. Là, depuis novembre, je suis rendue à 9 refus sur 12 envois. Trois réponses sont encore à venir (dont une pas avant la fin de l’été). Si elles viennent: il y a tellement de dossiers soumis que certains centres d’artistes ont décidé de ne répondre qu’à ceux qui sont retenus (ce qui m’a menée à déduire deux refus…).
Je l’ai déjà écrit aussi: je sais que c’est moche de le prendre ainsi mais… cette situation mine ma confiance en moi, ternit le plaisir que j’ai à créer.
Puis, cette idée m’est venue en méditant: et si, au lieu de me plaindre de ne pas être sélectionnée, je me réjouissais qu’il existe autant d’artistes qui ont du talent?
Et si, au lieu de me lamenter sur ce que je n’ai pas, je m’extasiais sur ce à quoi j’ai accès? L’amour de mon conjoint (que j’ai tendance à prendre pour acquis), la sécurité financière (j’ai beaucoup travaillé et économisé pour l’obtenir) et sociale (je vis au Québec), la santé physique (l’émotionnelle est plus problématique…), la créativité et la possibilité de m’exprimer de diverses façons (plastiques, littéraires). Et que dire des amitiés, qui me sont si chères?
Donc, qu’est-ce qui manque à mon bonheur? De la reconnaissance peut-être mais, après y avoir plusieurs fois réfléchi, surtout de l’inclusion, de l’appartenance à une communauté. Celle des artistes, des créateurs. Mais comment y parvenir, comment échapper à la solitude de l’atelier (bénéfique mais qui à la long terme peut se faire pénible)?
Et pourquoi est-ce que je tiens tant à persévérer? Parce que j’adhère à cette citation de l’écrivain Paul Auster (1947-2024):
«Le vrai but de l’art n’est pas de créer de beaux objets: c’est une méthode de réflexion, un moyen d’appréhender l’univers et d’y trouver sa place.» (Moon Palace)
Trouver sa place, voilà le défi! Voilà mon défi…
Intermède culturel 2
Je suis abonnée à l’infolettre hebdomadaire de Colossal, un magazine américain basé à Chicago qui met en lumière des artistes contemporains de tous les horizons et nationalités. J’y ai récemment découvert Pep Carrió, originaire de Palma de Majorque (Espagne). Sur son site web, cliquez sur les images pour les voir en couleurs et même parfois s’animer! Cet illustrateur et designer graphique utilise un langage plastique tout simple et pourtant émouvant.
Il tient également un journal quotidien de dessins (dont voici une vidéo), style carnet d’artiste. Vraiment très inspirant.
Coeur d’hydranger

Mon frère compositeur, dont je parlais plus tôt, vient de lancer son 10e album, Vortex, et pour la deuxième fois, il a utilisé une de mes oeuvres (le photomontage Impermanence, recadré pour la circonstance) pour la couverture. Velours!
De mon côté, j’ai décidé de joindre une de ses nouvelles pièces musicales à une exploration vidéo que je viens de soumettre pour un dossier de candidature pour une résidence (oui, je persiste à me cogner la tête sur le mur). J’ai choisi la reconstruction, en photogrammétrie, d’une branche d’hydranger (réalisée à l’automne à la Chambre Blanche), que j’ai poussée à l’extrême dans le grossissement, ce qui accentue notre perception des polygones et des sommets du maillage, et en jouant sur le mouvement et les superpositions. J'ai également extrait deux images de la vidéo que j'ai retravaillées. Voici donc «l'objet original» puis deux «interprétations» (l'une d'elles coiffe d'ailleurs ce billet):
Et maintenant la vidéo (durée: 2:03):
Est-ce que ça fonctionne bien? Le rythme des images de ce voyage visuel plutôt trépidant est-il trop rapide? Je ne sais plus trop. Je vais laisser décanter…
Si vous avez des commentaires à ce sujet (idéalement constructifs, mais pas complaisants), n’hésitez pas à m’écrire.
Conclusion
Quelle belle lumière dans l’atelier lorsque je me suis levée! Je l’ai reçue en plein coeur. Décidément, l’ascenseur des émotions me cause toutes sortes de surprises… Dommage que je ne puisse pas choisir l'étage où m'arrêter!
Marie Delagrave