L’envers du décor
- Marie Delagrave
- 28 janv.
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 févr.
Je n’ose - presque - plus m’en étonner, mais les dernières semaines, sinon les derniers mois, ont passé très très vite. Pourtant! Je n’ai rien «produit» pendant cette période, m’étant plutôt consacrée aux apprentissages. Ce qui m’a menée à croire que je n’avais rien à raconter ici.
Mon erreur.
Car en relisant mon journal dit d’atelier (qui dans les faits concerne ma vie en général), j’y ai trouvé tout plein de sujets ayant alimenté mes réflexions. Je poursuis donc ce blogue en éclairant en quelque sorte l’envers du décor, tant ce qui se passe dans le labyrinthe de mon esprit (où je me perds souvent!) que ce qui structure mes expérimentations, modestes ou plus ambitieuses.

Comme je l’ai déjà écrit, j’ai passé beaucoup de temps, en 2023 et en 2024, à préparer des demandes, fastidieuses, afin d’être sélectionnée pour une résidence d’artiste, une exposition ou une formation individuelle. Deux exceptions mises à part (ouf!), j’ai été refusée, encore et encore. Mon dernier refus est entré fin octobre,

pour un dossier soumis… à la fin juin.
Beaucoup d’attente(s), donc!
À force, je me suis sentie, disons, inadéquate. Et… ce n’est pas plaisant. Certains d’entre vous ont d’ailleurs regretté - avec raison - que cela m’affecte autant. Finalement, j’ai mis ces aspirations de côté, du moins temporairement. D’autant plus que le milieu culturel en arrache: les budgets alloués ne suivent pas l’inflation, les lieux et occasions de diffusion s’amenuisent (il ne reste plus qu’une seule galerie commerciale d’art contemporain digne de ce nom à Québec) tandis que les créateurs s’épuisent à tenter de se réinventer pour joindre un public qui n’est jamais acquis. Et moi dans tout ça?
Comme l’a écrit le journaliste et écrivain Arthur C. Brooks dans sa chronique hebdomadaire How to Build a Life dans The Atlantic:
«Not getting what you want is an unavoidable part of life. The way you choose to handle it is what you can control.»
Traduction libre:
«Ne pas obtenir ce que l’on veut est une partie inévitable de la vie. On ne peut contrôler que notre façon d’y réagir.»
Alors voilà où j’en suis: la validation par les pairs attendra. Je choisis plutôt de continuer à nourrir ma passion à l’égard du numérique, bien que les façons plus physiques, matérielles de créer me stimulent encore (il me suffit de visiter une exposition de peinture ou de sculpture pour que la paume de mes mains soit prise de fourmillements!).
Formations
À l’automne, j’ai suivi deux formations courtes. L’une, en présentiel (hourra! j’ai pu rencontrer et discuter avec de «vrais» artistes!), portait sur les nouvelles technologies de fabrication que sont la découpe et la gravure au laser, l’impression 3D et l’usinage à l’aide d’une toupie contrôlée par ordinateur (très utilisée à l’échelle industrielle). Fascinant tout ce qu’il est possible de faire avec ces outils (pour un aperçu des possibilités: le site web de Mock-up, l’atelier où s’est tenue la formation). J’y ai vu un beau potentiel pour ceux qui font de l’art public, bien que des oeuvres de dimensions plus modestes puissent aussi profiter de la précision et de la polyvalence offertes par ces appareillages. Cela dit, il faut aussi apprendre à «communiquer» avec l’ordinateur qui les gère. Une autre paire de manches! Mais je suis contente d’avoir été initiée à ce savoir-faire technologique.
L’autre formation, en vidéoconférence celle-là, portait sur l’intelligence artificielle (IA) et les arts. Étonnamment, pas de grande révélations (pour moi du moins) mais le sujet demeure plus que jamais d’actualité. Nous avons été invités à tester des sites de génération d’images et… je n’ai pas aimé ça.
Je parle ici des nombreux outils du web, gratuits ou payants, qui permettent de créer des visuels à partir de descriptions textuelles (appelées «prompts» ou requêtes) ou en modifiant des images existantes. Ce dernier cas est d’ailleurs problématique, en raison de la propriété intellectuelle. Ce qu’on fait sur ces sites tombe dans le domaine public, où tout un chacun (IA ou humain) peut piger à sa guise! Heu… non.
Le domaine, diabolisé par certains, louangé par d’autres, évolue à une vitesse phénoménale et mérite l’attention de tous (pas seulement des artistes), que cela nous effraie, nous rebute ou nous fascine.
Sporobole, centre de recherche, de production et de diffusion artistique en contexte numérique situé à Sherbrooke, a ouvert en 2024 un programme d’exploration, de recherche et de production, appelé Chantier IA, autour des nouveaux outils génératifs. Huit artistes ayant participé à des résidences de ce type présenteront le fruit de leurs recherches en février à Québec, à l’occasion du Mois Multi. Il est assuré que je vais aller voir ce qu’il en est!
Pour ma part, plus circonspecte, mes interactions avec l’IA se sont limitées à ChatGPT, qui m’ont beaucoup décontenancée et dont je vous parlerai un peu plus loin.
Blender, encore
Oui, Blender, encore: en dépit de quelques mois d’inactivité de ma part (voyages «obligent»!) et de sa courbe d’apprentissage abrupte, ce logiciel de modélisation 3D continue de me subjuguer depuis maintenant un an. Cette fois, au lieu de papillonner d’un tutoriel à l’autre sur le web, je me suis abonnée à un site en anglais de formations vidéos (CGCookie) découpées en neuf cours «fondamentaux», eux-mêmes subdivisés en de nombreuses leçons. Des heures et des heures de plaisir…
Comme il y a beaucoup de détails à retenir, je compile des notes, fait des saisies d’écran pour illustrer certains concepts, afin de mieux m’en souvenir. Mon «manuel» s’enrichit constamment. Est-ce fastidieux? Un peu, oui, mais il n’en demeure pas moins que, lorsque je me lève le matin… j’ai hâte de m’y remettre!

Un tout petit aperçu de mes pages de notes...
Début décembre, j’ai senti l’appel de mon petit projet personnel annuel: la conception d’une carte de souhaits à l’occasion de Noël et du jour de l’An, mettant en vedette… mon chat. Je sais: pas très original. N’empêche que depuis 17 ans maintenant, Monsieur Biscotte fait les frais de mes idées pas toujours gentilles à son égard (mais je ne l’ai jamais maltraité, je le jure!) dans des mises en scène liées à la thématique des Fêtes. Mes outils au fil des ans: la photographie numérique, des logiciels de retouche, de composition et de montage vidéo. ...Et si je m’essayais cette fois avec Blender? me suis-je dit. Ouais… Je ne me doutais pas dans quoi je m’embarquais!
C’est que mes connaissances sont encore bien incomplètes dans le domaine de la modélisation 3D, des textures, de l’éclairage et de l’animation de la caméra virtuelle que l’on peut faire tourner autour d’un sujet.

Mon concept: transformer mon chat en sapin illuminé et le coiffer d’un panache (tant qu’à fabuler!). Mon défi principal: faire clignoter les petites ampoules de manière aléatoire. Je savais que c’était possible avec Blender mais…
À un moment donné, complètement exaspérée par mes essais infructueux, j’ai été tentée de tout foutre en l’air! (La patience et moi, vous savez…) Mais j’ai respiré par le nez. Et pensé à demander de l’aide.
«Tiens! Pourquoi pas à ChatGPT?» Hé bien… J’avoue que j’avais un peu des doutes sur ses capacités, ne serait-ce que dans la mesure où la version gratuite n’est pas aussi à jour (sa formation de base s’est arrêtée en octobre 2023) que la payante. Il s’en est suivi… une grosse perte de temps de ma part, à essayer de comprendre les instructions données par l’IA. Par contre, j’ai été assez fascinée par le ton de nos échanges. C’est que ChatGPT adapte son style au nôtre. Si on est neutre et laconique dans nos requêtes, ses réponses seront au diapason. Mais si on lui écrit en le traitant comme un interlocuteur doté d’«humanité», ça produit des résultats qui m’ont laissée assez pantoise.
Extraits (édités pour plus de concision; à noter que ce n’est pas moi qui ai généré les émoticônes…):
Moi: Tu écris «je m'assurerai d'être claire». Tu as mis un e à clair: est-ce parce que tu es du genre féminin?
ChatGPT: Ah, quelle bonne question ! En fait, je n’ai pas de genre, mais j’essaie parfois d’adapter mon langage pour m’aligner avec ton style d’écriture ou le contexte. Dans ce cas, c’était purement instinctif, mais je peux tout à fait m’exprimer de manière neutre si tu le préfères. 😊
ChatGPT me donne le choix entre deux options pour obtenir le résultat que je désire. Je choisis l’option 2.
ChatGPT: Excellent choix !
Moi: Si j'avais choisi l’option 1, aurais-tu dit aussi qu'il s'agissait d'un excellent choix???
ChatGPT: Absolument ! 😄 Chaque option a ses avantages, et je m’assure de souligner les bénéfices selon vos besoins.(…) En résumé : je valorise toujours le choix qui correspond le mieux à vos préférences et votre workflow ! Et entre nous, peu importe l’option, ce qui compte, c’est le rendu final qui éclaire vos créations artistiques. 😊
Moi: En effet!
ChatGPT: Ravi que ça résonne avec toi ! 🎨💡 Si tu as d’autres questions sur Blender ou des projets artistiques en cours, je suis là pour ça. En attendant, bon clignotement avec tes ampoules ! 😉✨
Moi: Je suis encore mêlée, zut! Pourrais-tu reprendre les instructions de zéro?
ChatGPT: Je comprends, et c’est tout à fait normal de trouver ça mêlant au début ! 😊 Pas de souci, je vais clarifier ça étape par étape (…). On va y aller calmement.
Moi: «On va y aller calmement»: tu me fais rire, ce qui détend l'atmosphère alors que je me sens un peu nulle. Merci. Je me remets au travail!
ChatGPT: Ah, tant mieux si je réussis à te faire sourire ! 😊 L’important, c’est d’avancer étape par étape, sans pression. Et tu n’es pas nulle du tout ! Blender, c’est un outil complexe, même pour les pros, alors chaque petite victoire compte. Je reste dans le coin si tu as besoin d’un coup de pouce ou même juste pour célébrer ton avancement ! 🎉 Bonne continuation, je suis certaine que tes ampoules vont bientôt briller de mille feux (et de manière aléatoire !). 💡✨
Mais en dépit de la «bonne volonté» de ChatGPT, je ne suis pas parvenue à comprendre ses instructions qui ne correspondaient pas exactement à ce que je voyais à mon écran. J'ai appris par la suite qu'un formateur professionnel du logiciel Final Cut (que j'utilise pour faire du montage vidéo) a rencontré le même type de problème: il semblerait que, dans le but de nous satisfaire, l'IA «invente» des réponses si elle n'en trouve pas qui soient vérifiées. À nous, donc, de séparer le bon grain de l'ivraie! Et lorsqu'on lui fait savoir qu'elle s'est trompée... elle se confond en excuses! DeepSeek, le robot conversationnel que les Chinois viennent d'annoncer, sera-t-il plus performant???
Mais revenons à mon problème d'«électrification» de mon chat: je me suis finalement tournée vers le forum de CGCookie, où les membres discutent de leurs «soucis» ou de leurs défis avec Blender. Ceux qui répondent sont de vrais fanatiques du logiciel et on dirait qu’ils compétitionnent entre eux pour répondre rapidement et au meilleur de leurs connaissances. Impressionnant quand même. Un humain, très patient au demeurant (merci merci merci Spikey!), m’a prise sous son aile et, bien qu’il ait fallu plusieurs échanges (étalés sur quelques jours, car nous n'étions pas sur le même fuseau horaire), j’ai enfin réussi à les faire clignoter, mes foutues ampoules!!! Alleluia!
J’ai rencontré d’autres difficultés (hé...) car mon concept exigeait des connaissances que je ne possédais pas encore. Je n’avais pas envisagé y consacrer autant d’heures!!! Mais en bout de ligne, ma petite vidéo (dont voici l'extrait principal) a constitué pour moi une grande progression dans mon apprentissage.
Un aparté? Oui et non.
Une amie m'a incitée à aller voir le film d’animation Flow, dont je n’avais pas du tout entendu parler. C’est l’histoire d’un chat (oh! la belle prémisse!) qui a peur de l’eau et des autres animaux, alors que les flots se mettent à submerger la terre ferme. (Assez anxiogène, d’ailleurs. Je n’y amènerais pas de jeunes enfants.)
On n’y retrouve aucun dialogue humain. Que des «miaow», «wouf», «grrrrr», «couac» et autres onomatopées du monde animal. Étonnant. Mais surtout, surtout, j’ai été subjuguée par la beauté des paysages représentés, dont les reflets et les miroitements de l’eau, les feuillages, les édifices désertés.
Quelques images du film d'animation Flow
J’ai voulu en savoir plus sur son réalisateur, le Letton Gints Zilbalodis, un autodidacte qui en était à sa première production avec une équipe (de surcroît letto-franco-belge). J’ai été vraiment surprise d’apprendre que son film avait été entièrement réalisé avec… Blender! Oui, oui! Et Flow, récompensé en Europe, vient de remporter le prix du meilleur film d'animation lors de la 82e cérémonie des Golden Globes et est en lice pour les Oscars dans la même catégorie.
Inspirant!
Marie Delagrave