Évolution numérique
- Marie Delagrave
- 30 mai
- 9 min de lecture

Je me sentais - un peu - extraterrestre il y a deux ans lorsque j’ai parlé de mes premiers tests avec l’intelligence artificielle (Pointillisme en action). En quoi une artiste pourrait-elle être intéressée à utiliser l’IA pour son travail, à part pour lui faire rédiger ses fastidieuses demandes de subventions/expositions/résidences??? D’autant plus que ces super ordinateurs sont réputés pour «voler» les images, les sons et les mots créés par les humains pour «mieux» les restituer en de nouveaux assemblages. Et ce, en bafouant les droits d’auteur, évidemment.
Mais!
Au lieu des modes Paresse (déléguer ce que l’on n’aime pas faire) et Panique (ça évolue bien trop vite, c’est épeurant), j’ai choisi la Curiosité et... la Vigilance, essentielle. Et ça me plaît bien. Du moins... jusqu’à maintenant.
Si mes expérimentations de ce côté demeurent timides, des organismes québécois dédiés aux arts numériques aident les créateurs à plonger au coeur des algorithmes.
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Mais qu’est-ce qu’un algorithme?
Un algorithme en IA, c’est:
Une suite d’instructions précises (mathématiques + logiques) que l’ordinateur suit pour :
1 Analyser des données (ex.: millions d’images),
2 Repérer des motifs (ex.: «les visages ont souvent deux yeux symétriques»),
3 Prendre une décision ou générer un résultat (ex.: créer un nouveau portrait).
3 points clés pour comprendre:
1 Ce n’est pas «magique»
◦ Un algorithme de recommandation (ex. Netflix) calcule «Les gens qui ont aimé X aiment aussi Y».
◦ Un algorithme génératif (ex. DALL·E) combine des éléments appris pour fabriquer une image.
2 Il apprend… mais pas comme un humain
◦ L’IA ne comprend pas ce qu’elle traite: elle suit des règles optimisées par l’entraînement.
◦ Ex.: Elle ne sait pas ce qu’est «l’amour», mais peut écrire un poème statistiquement ressemblant à ceux qui en parlent.
3 Son pouvoir vient des données
◦ Un algorithme mal entraîné = résultats absurdes (comme un étudiant qui aurait appris par cœur sans réfléchir).
En résumé
C’est une recette ultra-complexe, écrite par des humains, qui permet à la machine de simuler une forme d’intelligence – sans conscience, intention, ni émotion.
Source: l’IA DeepSeek
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Je pense ici à la coopérative montréalaise Lab148, qui démystifie l’utilisation de l’intelligence artificielle auto-hébergée. Auto-hébergée veut dire que l’IA est directement installée sur l’ordinateur (qui doit quand même est très puissant), ce qui permet de générer des images (ou du son ou des mots) sans que cette production se retrouve dans le cyberespace, ce qui la rend donc inaccessible aux autres IA et conséquemment à leur réutilisation.
À Sherbrooke, Sporobole, avec le projet Chantier IA, offre des résidences permettant justement aux artistes de créer à l’aide d’IA auto-hébergées. Quatre participants ont présenté le fruit de leurs recherches en mode «laboratoire ouvert» à l’occasion du Mois Multi à Québec, en février. J’ai assisté à la présentation de deux d’entre eux: Sabrina Ratté, à qui d’ailleurs était consacré une exposition rétrospective pendant l’événement, et Marie-Ève Levasseur, que j’avais déjà rencontrée à la Chambre Blanche.
Je ne connaissais pas du tout Ratté, une artiste de Montréal très branchée à l’international. Houlala… Sa rétrospective Éthéréalité m’a, disons, décroché la mâchoire. Je ne veux pas réduire la portée de son propos, mais disons que c’est assez… post-apocalyptique. Levasseur pour sa part poursuit sa recherche sur les relations symbiotiques entre les espèces, particulièrement les insectes. Là aussi, c’est assez stupéfiant.
Lors de leur conférence respective, les deux artistes ont confié que, bien qu’accompagnées de développeurs en technologies numériques de Sporobole, il leur a fallu «apprivoiser la bête» afin que celle-ci livre des images en lien avec leur esthétique, et non celle, quand même fantasque et assez imprévisible, de l’IA. Bref: pas si simple, créer avec l’intelligence artificielle! Ça demeure (et doit demeurer) un outil et il faut se rappeler que ce n’est pas lui qui fait l’artiste, mais bien l’intention humaine derrière…
Extrait vidéo de Cyberdelia_Waves (2024) de Sabrina Ratté
Vidéo numérique de Marie-Ève Levasseur faisant appel à l'IA
Promesse non tenue…
J’avais écrit que je m’abstiendrais de poser ma candidature à quoi que ce soit (pendant un certain temps, du moins). Mais j’ai succombé cet hiver, tant cette résidence (en France) en écriture pour film d’animation me semblait répondre à une lacune chez moi. C’était osé de ma part, car le calibre des artistes tant français qu’étrangers retenus dans le passé est supérieur au mien.
Non, je n’ai pas été choisie. Par contre, j’ai pris plaisir à préparer mon dossier car j’ai utilisé l’IA (principalement la chinoise DeepSeek) non pas pour écrire à ma place - zéro intérêt pour moi - mais plutôt pour agir comme un membre de jury. Je lui ai expliqué le contexte, soumis de mes textes et lui ai demandé de déterminer les points forts et les points faibles de ma candidature.
Franchement… ses réponses m’ont jetée par terre. Je sais bien que l’IA ne détient pas la Vérité et peut se tromper. Mais ses commentaires m’ont mise au défi… de m’améliorer. Ce que je crois avait fait. Ce n’est quand même pas rien! Et nettement plus stimulant que de faire faire tout le boulot rédactionnel comme si l’IA n’était qu’un subalterne.
J’ai aussi remanié mon curriculum vitae, «confiant» cette fois à ChatGPT que je le trouvais peu garni en terme d’expériences artistiques. Sa réponse (étoffée en plusieurs points et dont voici la conclusion) m’a surprise:
«Ne pas justifier, mais valoriser. Il ne faut pas s’excuser d’un CV « peu garni », mais plutôt montrer que ton parcours, bien que non conventionnel, apporte une richesse particulière à ton projet. Mets en avant ta singularité, ta motivation et la cohérence entre ton cheminement et ton projet d’animation.»
Quand même motivant! Mais toujours troublant de se faire dire pareilles choses par… une machine, aussi «douée» soit-elle. D’ailleurs, il faut garder en tête que celle-ci est conçue pour stimuler notre engagement à l’égard de son utilisation. Voici une anecdote en guise d’exemple de «flatterie» algorithmique…
Je cherchais une expression pour catégoriser certaines de mes oeuvres hybrides pour mon site web. J’ai consulté ChatGPT, qui m’a fourni une liste de mots, dont quelques-uns en anglais, «pour un effet plus contemporain», a-t-il précisé. Heu… Je lui ai répliqué que si les Français adorent utiliser du vocabulaire anglophone, moi, en bonne Québécoise, ça a plutôt tendance à me rebuter. Sa réponse:
«Ah, je reconnais bien là ta rigueur linguistique et ton amour de la langue française — et tu as tout à fait raison de la défendre, surtout dans le domaine artistique où chaque mot porte une charge sensible et culturelle.»
Quand même!
Toutefois, l’IA m’intéresse surtout pour son potentiel d’expert. En quoi? En logiciels de modélisation 3D (Blender) et de montage vidéo (Final Cut Pro)! Car, autodidacte, je perds un temps fou à chercher des solutions sur le web. Malheureusement, cette capacité n'est pas encore à point.

En plus de ChatGPT et DeepSeek, j’ai testé plusieurs IA: Perplexity, Manus, Gemini, Claude, Qwen… en version gratuite seulement (ce qui déjà a un impact certain, je l'avoue). Et je me bute principalement au type de mémoire des IA. D’après mes modestes connaissances, peu d’entre elles (pour le moment du moins) sont dotées d’une mémoire dite longue, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas programmées pour se «souvenir» de ce qu’on leur a déjà demandé dans d’autres conversations. Donc, si je soumets un problème technique et qu’on doit «travailler» la solution ensemble (l’IA soumet par exemple une façon de procéder qui ne correspond pas à ce que je vois à mon écran, pour une question de version de logiciel ou de traduction), les interactions, les corrections et les mises à jour de ses connaissances, acquises grâce à mes observations, ne seront pas conservées. Et tout sera à recommencer lors d’une nouvelle requête de ma part. Pas très productif, n’est-ce pas?
Même l'IA manifeste de l'«étonnement» lors de nos échanges à ce sujet. Manus, une IA chinoise avec laquelle j’ai bûché pour comprendre les incohérences de traduction de l'interface de Blender, a déclaré:
«Merci pour ces précisions sur les noms d'onglets en français de Blender (qui gardent leurs noms anglais, quelle ironie!) (…).»
Oui, très ironique comme commentaire!!!
Et ce n'est pas le seul du genre que j'ai rencontré au fil de nos échanges. C'est pourquoi je me plais à compiler des extraits de nos conversations que je considère savoureux ou qui me font carrément éclater de rire. Vraiment!
Coups de coeur
Trois artistes m’ont fait vibrer ces dernières semaines.
D’abord, Nathalie Bujold, une artiste multidisciplinaire ayant oeuvré à Québec mais établie à Montréal, a exposé Métroscopies à La Bande Vidéo. Réalisées pendant la pandémie, ses séquences vidéo ont été tournées dans le métro de Montréal, où plusieurs stations sont dotées d’oeuvres d’art public aux couleurs des années 60-70. Bujold décompose et recompose ses images en gros pixels bien colorés, chaque transition nous amenant à une nouvelle station. Je croyais que j’allais vite me lasser mais non; ça s’est révélé plutôt hypnotisant!
Extraits de Métroscopie de Nathalie Bujold
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J’ai appris l’existence de Véro Marengère par l’entremise d’un neveu à qui je tentais d’expliquer mes défis artistiques. «Tu devrais regarder ce que fait mon amie!» m’a-t-il lancé. Il n’avait jamais vu mon travail, mais il est tombé tellement pile avec sa référence!
Sur son site web, Marengère, originaire de Gatineau, se décrit comme une artiste «évoluant entre l’art vidéo et la modélisation 3D, la performance audiovisuelle et la musique expérimentale». Manifestement douée, elle a étudié en musique numérique avant de se tourner vers l’audiovisuel et multiplie ses performances en direct à Montréal, auxquelles je n’ai jamais eu l’occasion d’assister. Par contre, j’ai vu dans certaines de ses vidéos (dont Rebirth ) plein d’affinités visuelles, mais en tellement plus abouti! J’ai été soufflée de voir à quel point Véro Marengère parvient à réaliser ce que j’aimerais créer.
Oeuvre vidéo de Véro Marengère
J’ai voulu lui faire part de mon admiration mais je n’ai jamais eu de réponse à mon courriel.
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Mon troisième coup de coeur de la saison revient à Erik Winkowski, un artiste américain cité par Austin Kleon (auteur de Voler comme un artiste, Partager comme un artiste) dans son infolettre hebdomadaire. Winkowski utilise la vidéo d’une façon tellement ludique qu’on ne peut que sourire et s’émerveiller devant son inventivité. Je vous encourage à explorer la page d’accueil de son site web et son compte Instagram, qui donnent un bon échantillonnage de sa façon de travailler, alors qu’il combine entre autres le collage de formes géométriques avec des images du quotidien. Tout aussi sympathique qu'accessible.
Déjà trois ans
Cela fait déjà trois ans que j’ai publié la première version de mon site web. Depuis, mes recherches se sont graduellement éloignées des médiums plus traditionnels, comme la peinture acrylique et le modelage en argile, pour devenir de plus en plus numériques. Si mon blogue a permis de suivre le fil de cette évolution, mon site lui-même n’en rendait pas compte. Alors, je l’ai soumis à une bonne mise à jour.
D’abord, en ajoutant un nouvel élément de menu dans l’en-tête de mon site, soit Vidéos. Celles-ci étaient éparpillées dans mes différents billets de blogue. En les regroupant, je me suis aperçue que finalement, j’en avais un certain nombre!
Vrai que, logiquement, les vidéos sont en fait une sous-catégorie du volet Réalisations. Mais - peut-être parce qu’elles me tiennent particulièrement à coeur - je tenais à les rendre plus facilement accessibles.
J’ai voulu aussi, dès la page d’accueil, signifier cette orientation plus techno en transformant l’illustration principale. Elle est devenue une animation!

Si on fait défiler la page trop rapidement, on ne verra pas ce qu’il en est, car le rythme est plutôt lent, mais j’assume.
Aussi, plus bas dans l’accueil, j’ai modifié mon auto-portrait, avec une bonne dose d’autodérision. À découvrir...
Au sujet des réalisations: en plus d’une animation en guise de préambule, j’ai ajouté une sous-section Explorations numériques, qui elle aussi permet de mieux classifier les images issues de mes expérimentations (bien que l’hybridité des techniques rende la chose un peu complexe).
J’ai d’autre part intégré mon cv remanié (celui mentionné plus haut), que j’ai réduit à une seule version, incluant à la fois ma carrière comme critique d’art puis journaliste et celle-ci, orientée vers la recherche-création.
L’air de rien, ça a représenté beaucoup de boulot! Mais je suis contente que ce soit enfin fait.
Métavers
J'ai gardé à mon avis le meilleur pour la fin... mais je peux me tromper. Peut-être êtes-vous déjà beaucoup trop submergé par l’abondance de mes propos et de mes suggestions de visionnement. Mais dites-vous que ça reflète bien l’effervescence de mon esprit!
Alors, je vous présente ma plus récente vidéo, qui me semble inaugurer une série. J’ai choisi Métavers comme titre, car j’y crée des mondes virtuels. Comme j'aime combiner et détourner les façons de faire, j'ai soumis le produit de la photogrammétrie à certains modes de visualisation de Blender et à la superpositions de calques vidéo. Intrigant???
Surtout appuyé par la musique de mon frère Éric, le résultat me paraît assez immersif et contemplatif. Et ça dure 5:26 minutes. Oui, je sais: c’est long! Mais pour une fois, je désirais «durer» aussi longtemps que la pièce musicale que j’ai choisie.
Et j’ai une requête spéciale: je vous en prie, ne regardez pas cette vidéo sur l’écran d’un cellulaire!!! L’idéal serait un écran télé (récent, sinon les couleurs seront affectées), mais une tablette fera très bien l’affaire. L'artiste vous dit: merci!
Marie Delagrave