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La vie, la vie...

  • Photo du rédacteur: Marie Delagrave
    Marie Delagrave
  • 7 juin 2022
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 juin 2024


photomontage de Marie Delagrave; crédit pour le pygargue: Deny McDonald

Suffit que la mort rôde de près pour se sentir subitement trop vulnérable. Ce n’est pas la première fois qu’un proche meurt, mais là, un ami de si longue date, avec qui j’ai partagé tant de doutes (mais aussi des accomplissements, heureusement), c’est la première fois. Et cette relation n’était pas unidirectionnelle: nous nous sommes mutuellement confiés bien des attentes, des déceptions, des projets, des succès aussi.


Cette amitié aurait eu 40 ans l’an prochain, ce n’est pas rien! Nos relations amoureuses respectives nous ont fait connaître des discontinuités de fréquentation, mais sans jamais altérer le lien qui nous unissait. Nous étions devenus de vieux complices l’un pour l’autre.


Je parle ici de mon ami le journaliste Jacques Samson, de 13 ans mon aîné, que j’ai connu dès mon entrée au quotidien Le Soleil, en 1983. Nouvelle collaboratrice aux arts visuels, timide et inexpérimentée, j’étais impressionnée par ce grand gaillard aux opinions tranchées, à la voix forte et au rire contagieux, qui était habitué à côtoyer les Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Jean-Pierre Ferland et Ginette Reno de ce monde. À l’époque, il n’y avait pas encore beaucoup de femmes à la rédaction du journal, et encore moins des «jeunesses» comme moi! Jacques était impressionné par mon bagage universitaire (pourtant, il ne s’agissait que d’un bac, et même pas en journalisme!) et il me vouvoyait, tout comme moi d’ailleurs. Mais cette «politesse» n’a pas duré longtemps. Il est devenu officieusement mon mentor et a défendu la place des arts visuels dans le journal… même s’il ne comprenait pas trop (tout comme les photographes qui m’accompagnaient lors des assignations) les sujets de mes articles. Il me faisait confiance, et ça m’a donné littéralement des ailes.


La beauté du journalisme, c’est qu’on peut occuper différents postes qui nous amènent à relever des défis qui repoussent nos limites. C’est ce qui nous est arrivé, à Jacques et à moi. Nous n’avons pas toujours été sur les mêmes quarts de travail, mais nous veillions à nous tenir mutuellement au courant de notre quotidien. J’ai eu la chance qu’il ne soit pas encore à la retraite lorsqu’en 2006, Jacques a détecté (ainsi qu’une autre amie très chère) que je n’allais pas bien du tout. Poussée par son inquiétude, je me suis résignée à aller voir mon médecin; celle-ci m'a diagnostiqué des troubles anxieux qui m’ont menée à une dépression majeure. Merci Jacques (et Michèle) de m’avoir empêchée de foncer dans un mur.


Lorsqu’il a quitté Le Soleil en 2009, Jacques a pu profiter à plein de son petit paradis au bord du fleuve, à Saint-Michel-de-Bellechasse, là où il pouvait observer le spectacle toujours changeant du fleuve et celui des oiseaux qu’il chérissait, en compagnie de sa précieuse compagne Hélène. Si je savais depuis longtemps que derrière son image de gai luron se dissimulait un être sensible, assoiffé d’amour et d’amitié, je ne m’attendais pas à ce que la maladie l’effrite autant, lui mon pilier que je voulais inébranlable. Faut dire qu’une tonne de briques n’attendait pas l’autre: à compter de 2015, il a connu divers problèmes de santé de plus en plus sévères — ainsi que la faillite de notre fonds de retraite — qui ont inexorablement grugé sa sérénité. Voir et entendre un ami pleurer, c’est à la fois un privilège (en raison de la confiance) et… une immense impuissance à gérer.

J’étais déjà très affectée, début 2021, par ce qui arrivait à mon ami, lorsque, ô surprise (il y a des coïncidences qui sont merveilleuses), je suis tombée sur un livre portant sur le kintsugi (prononcez kint-sou-gui). Il s’agit d’une technique ancestrale découverte au XVe siècle au Japon et qui consiste à réparer un objet brisé, habituellement une poterie, en soulignant ses fissures avec de l'or, au lieu de les masquer, comme l’explique Céline Santini dans son livre L’art de la résilience: «Ainsi soigné, l'objet cassé assume son passé, et devient paradoxalement plus résistant, plus beau et plus précieux qu'avant le choc.»


Plus j’avançais dans cette lecture, plus je pensais à mon ami qui, à chaque épreuve, recollait ses morceaux plutôt mal que bien. C’est à ce moment que j’ai eu envie de faire un photomontage afin de l’encourager à se relever, en le personnifiant en tant que pygargue (car Jacques, pour ceux qui ne l’ont pas connu, a tenu une chronique sur les oiseaux pendant des années) auquel j’ai fait «subir» de façon virtuelle une reconstruction à la kintsugi. Voici ce que je lui ai alors écrit:

«Si le phénix est réputé renaître de ses cendres, je lui préfère le pygargue, aussi fier et altier que toi.
En dépit des épreuves qui jalonnent ton existence, je te souhaite de transmuter tes cicatrices de plomb en or, afin que tu puisses rayonner encore longtemps dans nos vies. »

La photo de cet imposant volatile à tête blanche n’est pas de moi, ni de mon ami, qui pourtant chassait cet oiseau avec sa lentille de photographe; ses images étaient malheureusement prises de trop loin. C’est en fouillant sur internet que j’ai déniché celle-ci et son auteur, Deny McDonald, un taxidermiste de Stoneham, qui m’a permis de l’utiliser pour mon hommage.

Jacques Samson crédit Marie Delaagrave

Afin de rendre ma métaphore plus claire, j’aurais voulu joindre une photo de Jacques à mon montage. Mais! Je n’en avais pas sous la main, car je photographie très rarement les gens, comme vous l’avez peut-être constaté dans mon portfolio. Alors, l’été dernier, alors que nous venions de dîner au resto de la marina de Saint-Michel, je lui ai demandé de poser pour moi. Il n’a pas acquiescé tout de suite, ce qui était tout à fait normal: je partage, comme lui, le malaise d’être situé devant l’objectif d’un appareil photo! Mais Jacques a compris, sans que je lui dise, que je voulais conserver un souvenir de lui. Ce n’est que tout récemment que j’ai complété mon montage, adapté cette fois à son décès.

photomontage Jacques Samson pygargue

Je n’avais pas hâte que ça arrive - bien que je n’en pouvais plus de le voir souffrir ainsi - mais mon ami s’est finalement envolé en fin de soirée le 26 mai 2022.


Tu vas me manquer, Jacques; tu vas nous manquer à tous.



Rédigé en écoutant le plus récent album de Roger Eno (le frère de Brian), The Turning Year, magnifique de mélancolie, ainsi que some kind of peace (2020) d’Olafur Arnalds.


Kintsugi: l'art de la résilience, Céline Santini, Éditions First, 2018. Disponible à la bibliothèque de Québec.



Croyez-vous au bonheur?


La tristesse a sa contrepartie: le bonheur. Oui je sais: les sceptiques ne croient pas en son existence. Mais moi, j’ai cette foi-là, même si elle a vacillé au cours de mon existence. Et tout récemment, j’ai découvert une série de balados (en anglais) fort éclairante sur les différents aspects cet état d’être au monde, qui n’a rien à voir avec la richesse, la célébrité, la beauté ou… le nombre d’abonnés!

How to Build a Happy Life logo

Formatée en huit épisodes (mais le premier est plutôt une introduction), How to Build a Happy Life est publiée par The Atlantic, sur son site web, section «podcasts». Pour être franche, je ne me rappelle pas dans quelle infolettre j’ai eu cette référence. Mais peu importe, car je me félicite surtout d’avoir eu la curiosité d’aller y jeter une oreille, puis finalement les deux: j’en suis à ma deuxième écoute, tellement le propos y est dense. Non pas que le langage employé soit hermétique, mais les concepts, eux, stimulent drôlement les méninges. L’animateur, Arthur Brooks, professeur de psychologie à Harvard, est correspondant pour The Atlantic et fait appel à des experts qui donnent leur point de vue sur le sujet. Il est aussi possible de lire la retranscription de certains épisodes.


mais il faut impérativement cliquer sur Season 1, sinon, vous n’aurez accès qu’à la plus récente série de balados, sur un autre thème.


Bonne écoute!

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Marie Delagrave



 
 

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